Kosovo : l’Euro 2020 comme objectif politique

Ce jeudi 14 novembre, l’équipe de football du Kosovo jouera un match crucial face à la République Tchèque. Objectif : une victoire pour une qualification historique à l’Euro 2020. Outre ce leitmotiv sportif, cela serait un pas de plus pour cette petite république des Balkans vers une plus grande reconnaissance internationale. L’existence de cet Etat d’ex-Yougoslavie est en effet contestée depuis sa déclaration d’indépendance en 2008. Reconnu par la FIFA, mais pas par l’ONU, le football est l’une des voies diplomatiques du Kosovo pour affirmer son existence et rentrer pleinement dans le jeu des nations.

L’histoire du Kosovo est une histoire complexe, intimement lié à celle de l’Albanie et de la Serbie. Durant la Seconde Guerre mondiale, ce territoire enclavé des Balkans se voit intégré à l’Albanie, alors sous contrôle de l’Italie fasciste. Mais après la guerre et la création du bloc de l’Est par l’URSS, Tito, chef communiste de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, a l’intention de créer une fédération balkanique. Cela ne plaît guère à Staline et en 1948 une rupture s’installe entre les deux Etats. Les relations sont rompues, l’Albanie rejoint la grande cohorte des démocraties populaires tandis que le Kosovo est intégré à la Yougoslavie.

Pourtant, après la mort de ce très autoritaire « président » en 1980, les premières manifestations nationalistes éclatent dans cette fédération. Le Kosovo, composé à majorité d’albanais, souhaite devenir une république à part entière. Les dirigeants du parti communiste yougoslave, emmenés par Slobodan Milosevic, ne sont pas de cet avis et ils réprimeront durement les émeutes.

Avec l’effondrement du bloc communiste à partir de 1989, de nombreuses nations de la République fédérale vont demander leur indépendance. La Serbie tentera par la force de sauver ce qu’il reste de la Yougoslavie avec les guerres sanglantes de Croatie et de Bosnie. Les accords de Dayton en 1995 aboutiront à la fin de ces combats inter-ethniques et à l’indépendance de cette dernière.

Carte de la République fédérative socialiste de Yougoslavie © Wiki

Au sud de la Serbie, les velléités d’indépendance sont toujours là. Une nouvelle guerre se déclare, au Kosovo, entre séparatistes albanais et forces serbes, faisant plus de 13.000 morts et provoquant une émigration massive. L’intervention de l’OTAN en 1999 mettra fin au conflit armé et le Kosovo restera un territoire au statut indéterminé jusqu’en 2007.

Pourquoi en 2007 ? Parce qu’à cette date là l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari, qui supervise les négociations entre les gouvernements serbe et kosovar, soumet au Conseil de sécurité des Nations Unies la proposition d’accorder le statut d’État indépendant au Kosovo. La Russie, membre permanent du Conseil, met son veto sur cette solution. Pour elle, cette indépendance serait contraire au principe de l’unité territoriale de son allié serbe.

Le Parlement provisoire du Kosovo n’attend pas l’aval de l’ONU et déclare unilatéralement son indépendance le 17 février 2008.

Célébration de l’indépendance du Kosovo le 17 février 2008 © AFP PHOTO/ARMEND NIMANI

En 2019, ils sont désormais 100 Etats sur les 193 membres des Nations unies à reconnaître cette indépendance, dont les Etats-Unis, la France ou bien encore l’Allemagne. Néanmoins d’autres Etats influents ne reconnaissent pas le Kosovo. C’est le cas notamment de la Russie déjà évoqué, de la Chine ou bien encore de l’Espagne. Pour certains pays, comme l’Etat espagnol avec la Catalogne, reconnaître l’indépendance du Kosovo pourrait être un signal négatif envoyé à l’intégrité de leur territoire national, soumis à de fortes revendications régionalistes.

Par ailleurs il faut noter que la Serbie mène une campagne diplomatique importante depuis 2017, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires Etrangères Ivica Dacic, afin que certains Etats révoquent leur décision de reconnaître le Kosovo. Depuis le 27 octobre 2017 et la révocation du Suriname, ils sont 15 à avoir emprunté ce chemin.

Les tensions entre les deux pays sont encore et toujours d’actualité, notamment au nord du pays à majorité serbe, qui ne reconnaît pas l’autorité de Pristina, capitale du Kosovo, mais seulement celle de Belgrade. On en arrive alors à des situations dramatiques, comme fin 2018. Le gouvernement kosovar introduit alors une taxe sur tous les produits importés venant de Serbie. Cette taxe affecte lourdement la population au nord du pays. Pour éviter une catastrophe humanitaire en juillet 2019, Pristina envoie des produits alimentaires là-bas, mais, craignant d’être empoisonnés par les albanais, les serbes du nord refusent de les acheter.

Carte ethnique du Kosovo © Monde diplomatique

Et le football dans tout ça ? La reconnaissance par l’ONU étant bloquée, le Kosovo s’est tourné vers d’autres moyens diplomatiques pour affirmer son autonomie. Cela passera par le sport roi dans ce pays, le football. Le 3 mai 2016, 28 des 54 membres du Congrès de l’UEFA vote en faveur de l’adhésion du Kosovo, qui devient le 55ème membre de l’UEFA. Suivra ensuite l’adhésion à la FIFA, ce qui permettra désormais à la sélection des Dardanians de prendre part aux éliminatoires de la Coupe du Monde 2018 ainsi que ceux de l’Euro 2020.

Et la sélection des Balkans est loin d’être ridicule puisqu’elle a enchaîné une impressionnante série de 15 matchs sans défaite entre le 24 mars 2018 et le 10 septembre 2019. Cette série s’est tout de même soldée par une défaite encourageante 5-3 contre l’Angleterre. Le Kosovo reste toutefois en bonne position pour se qualifier pour le prochain Euro à deux matchs du terme des qualifications.

Il faut dire que cette sélection s’appuie sur la forte diaspora albanaise présente dans toute l’Europe. On dénombre par exemple environ 200.000 kosovars résidant en Suisse. L’équipe nationale est donc composée en grande partie de joueurs n’étant pas né dans le pays ou bien ayant déjà évolué au niveau international sous d’autres couleurs.

Surtout, les joueurs d’origine albanaise se mobilisent pour que la nation kosovar existe balle au pied. En 2012, l’international albanais Lorik Cana, aux côtés des joueurs suisses Granit Xhaka, Valon Behrami et Xherdan Shaqiri, tous d’origine albanaise du Kosovo, a écrit à la FIFA pour demander que le Kosovo puisse jouer des matchs amicaux officiels. Cette déclaration sera soutenu par de nombreux autres footballeurs d’origine albanaise. Et en 2016, la FIFA autorisera 16 joueurs à évoluer pour les Dardanians, après avoir porté le maillot d’une autre sélection.

Premier match officiel du Kosovo face aux Îles Féroé le 3 juin 2016© Le Temps

Mais l’influence de la diaspora albanaise conjugué avec la forte émigration que connaît le Kosovo entraîne un autre enjeu géopolitico-sportif, notamment vis à vis des voisins d’Albanie et de Macédoine du Nord. Pour Lorik Cana, toujours lui, (source : SoFoot) « on se retrouve non plus avec une équipe nationale d’Albanie, mais avec deux équipes représentant deux États albanais : l’Albanie et le Kosovo. Et les plus grands talents actuels jouent pour le Kosovo. » et il rajoute que « dans l’équipe d’Albanie qui s’était qualifiée pour l’Euro 2016, la moitié était originaire du Kosovo« .

Même son de cloche du côté du suisse Bernard Challandes, sélectionneur de l’équipe kosovar. Pour lui (source : So Foot) il est devenu de moins en moins compliqué de convaincre les joueurs de venir jouer sous les couleurs bleu et jaune. Il y a pour lui « une dynamique autour de la sélection » et Il n’en est plus au stade où il doit « prier » les joueurs pour venir jouer.

Nul doute qu’une qualification pour l’Euro convaincra d’autres joueurs d’origine albanaise de venir jouer pour le Kosovo, comme l’attaquant du FC Bâle Kemal Ademi ou bien Elvis Rexhbeçaj évoluant à Wolfsburg.

Pour les suisses Shaqiri et Xhaka cela sera en revanche impossible depuis les nouvelles réglementations de la FIFA en 2016. Pourtant les deux compères sont attachés au Kosovo. Ils avaient d’ailleurs célébré, lors de la victoire de la Suisse contre la Serbie lors du Mondial 2018, les buts de leur équipe en reliant leurs mains avec leurs pouces. Ce geste n’était pas anodin puisqu’il symbolise l’aigle bicéphale, signe de ralliement des Albanais. La FIFA avait alors mis à l’amende les joueurs, ce qui a provoqué la mise en ligne d’une cagnotte côté kosovar et albanais. Le ministre du Commerce et de l’Industrie du Kosovo avait également participé en faisant un don de 1.500 euros, soit la totalité de son salaire.

Célébration de Shaqiri suite à son but contre la Serbie en 2018 © Reuters

Bien que le Kosovo développe les infrastructures de football sur son territoire, sa diaspora albanaise sera l’avenir de sa sélection. Rappelons que le Kosovo est un petit pays de 2 millions d’habitants, relativement pauvre et soumis à une forte émigration. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le gouvernement kosovar a mis en place dès 2011 un Ministère chargé de la diaspora.

Avec une éventuelle participation à l’Euro en juin prochain, le Kosovo existera bien au delà du football, puisque cette compétition sera vu par plus de 2 milliards de personnes. Reste à savoir si le sport sera la bonne stratégie qui permettra à ce pays d’être reconnu pleinement.

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