Depuis quelques années, l’Arabie Saoudite investit de manière massive dans tout ce qui touche de près ou de loin au sport. La question de la rivalité avec le Qatar est l’une des explications de ce soudain rebond sportif, même si derrière cela se cache tout de même l’idée de moderniser l’image de la pétromonarchie à l’international.
L’Arabie Saoudite l’a bien compris, bien que le pays soit premier producteur et exportateur de pétrole au monde (31% du PIB et 79% des recettes d’exportation), sa rente pétrolière ne sera pas éternelle. L’Etat saoudien doit diversifier ses ressources pour sortir de son ultra dépendance à l’or noir et renforcer sa domination régionale dans le Golfe persique. Mais pour cela il faut avant tout que d’autres pays aient envie d’investir en terre saoudienne.
Problème, entre l’affaire du journaliste critique Jamal Khashoggi tué au sein du consulat saoudien d’Istanbul, l’enlèvement du Premier Ministre libanais Saad Hariri, l’intervention militaire controversée et meurtrière au Yémen et les atteintes aux droits de l’Homme, l’image de l’Arabie Saoudite s’est considérablement détériorée au fil des années. Quant aux droits des femmes, bien que les saoudiennes ont désormais le droit de conduire et disposent d’un championnat national, ils sont quasi-inexistants puisqu’elles restent juridiquement sous la tutelle de leur « gardien », père, mari ou fils.
C’est donc par le sport que l’Arabie Saoudite a choisi de redorer son blason. Ce « soft power » sportif s’inscrit dans une stratégie plus globale, baptisée Vision 2030. Lancée en 2016, ce plan est le fruit du prince héritier Mohammed Ben Salmane, Ministre de la Défense à l’époque. Vision 2030 veut moderniser le régime saoudien en multipliant les partenariats internationaux, en renforçant les services à la population, en modernisant les institutions et en investissant dans des secteurs clés comme le développement durable, les nouvelles technologies et le tourisme.

Certains projets prévus par le plan de Ben Salmane sont d’ailleurs dantesques, à l’image de la cité du futur « Neom » bâtie sur 460 km de front de mer de la Mer Rouge, où transite 10% du commerce mondial, ou encore le mégaprojet touristique Al Qidiya, un immense parc de loisirs et culturel à seulement 40 km de la capitale Riyadh. Des projets qui commencent à prendre en vie comme en témoigne en début d’année l’importante communication autour The Line, ville du futur sans voiture en plein désert saoudien. Mais Ben Salmane l’a bien compris, il faudra élargir la sphère d’influence saoudienne pour répondre à ses grandes ambitions. Quoi de mieux que le levier » apolitique » sportif pour attirer les autres pays et séduire les investisseurs dans ces projets alliant modernité, culture et développement durable.
Longtemps resté dans l’ombre des autres Etats pétroliers de la région et de leur politique sportive ambitieuse, l’Arabie Saoudite a changé de braquet en 2019 afin d’attirer les organisateurs et les fans d’événements sportifs. Depuis le match de boxe « Clash of Dunes » entre Anthony Joshua et Andy Ruiz, l’Etat saoudien a accueilli la Supercoupe d’Espagne et d’Italie de football, le Saudi International Golf et d’autres évènements sont à venir.
Encore mieux, le pays du Golfe a réussi à décrocher le rallye Dakar ou encore l’organisation d’un tour cycliste sur ses terres. Des évènements qui ont permis à la fois d’attirer des annonceurs étrangers pour diffuser ces compétitions au plus grand nombre mais aussi de mettre en valeur les paysages carte postale du pays pour séduire les touristes internationaux. (@CaroleGomez -IRIS) Rappelons que depuis l’ouverture de ses frontières aux touristes étrangers, en septembre 2019, l’Arabie saoudite a délivré 400 000 visas et le pays veut faire plus.

Le pays investit également dans le sport au niveau interne pour faire de la nation saoudienne une nation sportive. Ce n’est pour l’instant pas le cas puisque l’Arabie Saoudite n’a obtenu par exemple que trois médailles aux Jeux Olympiques parmi ses 11 participations. Par le sport, le régime cherche à diffuser des « valeurs comme le dépassement de soi. Des valeurs qui se coordonnent avec le développement économique et les changements sociétaux ». @Raphaël Le Magoariec – France 24. C’est aussi une bonne occasion pour le régime de bonifier son image vis-à-vis de sa population, dont 25% des 33 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté.
Pour ce qui est du football, l’Etat saoudien reprend peu à peu la main. Riyadh a compris, tardivement, que le poids du football dépassait le simple cadre sportif et c’est sans doute l’attribution de la Coupe du Monde 2022 à son voisin et rival qatari qui a accéléré les choses. Il faut dire que les tensions sont vives entre les deux pays. En 2017, l’Arabie Saoudite et ses alliés ont fermé les frontières et imposé un blocus au Qatar, qu’il soupçonnait de financement du terrorisme et de relations avec l’Iran.
Malgré l’important dispositif et les menaces d’attaques militaires de la part du dirigeant saoudien Mohamed ben Salmane, le Qatar réussit à maintenir son économie à flot et à mobiliser la communauté internationale autour de son cas grâce à son influence politico-sportive. Pire, le blocus fragilise l’équilibre économique, déjà précaire, de la région. Depuis, les relations tendent à se réchauffer bien que la place toujours plus grandissante du Qatar dans les instances sportives mondiales irrite son grand voisin. La situation semble pour le moins s’apaiser puisque en ce début d’année 2021 l’Arabie Saoudite a levé le blocus et repris des relations diplomatique avec son voisin.

Les instances saoudiennes ont donc décidé de rattraper leur retard en concentrant leurs efforts tout d’abord sur le championnat national, sous la houlette de l’influent conseiller Turki Al-Sheikh.
La monarchie n’a pas hésité à éponger les dettes des clubs et à débloquer un fonds d’investissement de plusieurs millions d’euros en 2017 pour investir dans le championnat et acquérir de nouveaux joueurs au profil plus international (Gomis, Giovinco, Musa…). « En 2018, les clubs du championnat saoudien ont ainsi dépensé la somme de 173,9 millions, soit trois fois plus qu’en 2017 selon un rapport de la Fifa ». (@Camille Belsoeur – Slate)
L’idée est aussi de développer les structures de formations des clubs afin que de nouveaux joueurs intègrent les Faucons, surnom de la sélection nationale. Car l’équipe entraînée par le français Hervé Renard se doit d’être qualifiée pour la prochaine Coupe du Monde 2022, qui plus est chez le voisin qatari. C’est d’ailleurs ce même Qatar qui a remporté le dernier titre de Champion d’Asie en 2019, alors que l’Arabie Saoudite s’est fait éliminer dès les huitièmes de finales.

Toujours dans cette optique d’étendre son influence et de concurrencer ses « encombrants » voisins, l’Etat saoudien cherche à investir dans un top club européen. En 2019, les rumeurs ont laissé penser que l’Arabie Saoudite voulait racheter Manchester United.
Un choix peu anodin, puisque le club anglais est le 3e club le plus riche du monde, avec plus de 700 millions de chiffres d’affaires sur l’année 2018/2019. Extrêmement médiatique, il compte plus avec de 130 millions de fans à travers le monde. Un choix peu anodin également quand on sait que l’autre club de la métropole anglaise, Manchester City, appartient au sheikh Mansour, membre de la famille royale d’Abu Dhabi.
Le morceau sera trop gros pour l’Etat saoudien, qui jettera son dévolu en 2019 sur un autre club anglais, plus abordable. Newcastle. Pour ce rachat, les saoudiens vont s’associer à Amanda Staveley, femme d’affaires britannique déjà derrière le rachat de Manchester City. Bien que le club soit vendeur et que l’Arabie Saoudite dispose d’un important pécule avec son Fonds d’investissement souverain, estimé à plus de 382 milliards de dollars, ce rachat ne se fera alors pas.

En cause le fait que l’Arabie Saoudite héberge le réseau de piratage beOutQ, qui comme son nom l’indique détourne les canaux des chaînes qataris du groupe beIN Sports. Or le groupe de média qatari est l’un des principaux diffuseurs de la Premier League, championnat où est présent Newcastle. Ce qui a compliqué la tâche du rachat.
Au niveau politique, de nombreuses voix outre-Manche se sont élevées contre cet investissement saoudien, vu comme du « sports washing ». C’est à dire utiliser le sport pour masquer les agissements d’un Etat autoritaire. En ce qui concerne l’Arabie Saoudite c’est les nombreuses violations des droits de l’Homme qui sont pointées du doigt. Cet ensemble de contestation a donc fait que l’Arabie Saoudite n’avait pas pu à l’époquer concrétiser son projet de racheter un grand club dans la ligue de football la plus suivie au monde.
Ces deux échecs en Angleterre ont-ils poussé l’Arabie Saoudite à revoir ses plans ? C’est notamment ce qu’a pu laisser croiser l’hypothèse du projet de rachat de l’Olympique de Marseille durant l’été 2020. Un projet porté par l’homme d’affaires franco-tunisien Mohamed Ajroudi, avec des fonds soi-disant venus du Moyen-Orient voir d’Arabie Saoudite.

Un investissement qui aurait tout son sens puisque sur le plan sportif, l’Arabie Saoudite investirait :
– dans un marché footballistique plus accessible que les 4 grands championnats anglais, allemand, italien et espagnol
– dans une ville avec une identité méditerranéenne
– dans un club (et donc une marque) reconnu au niveau européen

Un projet qui pourrait se déplacer sur le terrain géopolitique pour ainsi :
– concurrencer le Qatar dans un pays où il est déjà bien implanté avec BeIN Sports et le PSG
– donner au Clasico une nouvelle dimension avec un affrontement qui dépasserait le cadre de la rivalité sportive.
Cependant, comme nous l’avons vu cet été, le rachat n’aura jamais lieu. Les multiples déclarations de l’homme fort de cet éventuel rachat, Mohamed Ajroudi, n’ont jamais dépassé le stade des rumeurs.
De nouvelles sources aujourd’hui laissent à penser que l’Olympique de Marseille pourrait être racheté, compte tenu de la situation dans laquelle est le football français après la pandémie Covid-19 et le fiasco Mediapro autour des droits TV. L’identité du futur acquéreur serait la Kingdom Holding Company, l’une des plus importante société privée d’Arabie saoudite détenue par le prince Al Walid Bin Talal ainsi que la deuxième société la plus importante en termes de chiffre d’affaires. Une manière de moins associer le projet directement à l’Arabie Saoudite et à son imposant fonds d’investissement souverain ? Et donc éviter les futures critiques de « sports washing » ? L’avenir nous le dira même si pour l’instant l’actuel propriétaire du club olympien, Franck Mc Court, a démenti une éventuelle vente du club.

L’Etat saoudien ne mise en tout cas pas que sur le football et poursuit son choix d’utiliser le sport pour redorer son image, mettre sa population au sport et diversifier de son économie. Même si cela prendra du temps. Pour reprendre l’exemple du Qatar, l’émirat a investi dès 1993 dans le sport pour ensuite s’en servir d’appui diplomatique. La stratégie très (trop) offensive sur ce terrain-là de l’Arabie Saoudite lui dessert pour l’instant, comme en témoigne par exemple le récent tournoi de golf féminin organisé dans son pays. Un moment historique pour les officiels saoudiens pour ainsi se mettre en première ligne dans le développement du sport féminin. Mais un moment aussi fortement critiqué par les associations de défense des droits humain, tant les libertés des femmes dans ce royaume sont réduites.
L’utilisation du sport pour rayonner par-delà le monde a donc ses limites. Les pétrodollars peuvent permettre d’organiser, de participer, d’être associé aux plus grands événements sportifs. Mais ils ne peuvent pas masquer le piètre bilan du régime saoudien en matière de droits de l’Homme.
Pour poursuivre sur le sujet je vous invite à consulter mon Thread sur le rachat par l’Arabie Saoudite du club de Newcastle en octobre dernier ⤵