Shakhtar Donetsk ou l’exode forcé du donbass

La guerre en Ukraine a déjà provoqué l’exode de plus de deux millions de personnes. Le club du Shakhtar Donestk est le symbole à lui seul la complexité de conflits qui poussent les ukrainiens à fuir depuis 2014 et le début de la guerre au Donbass.

Donetsk, au cœur d’un nœud géopolitique

De par sa situation géographique, le club des Mineurs, surnom de l’équipe, est en effet en première ligne de l’affrontement, depuis la montée des tensions à l’est de l’Ukraine. Donetsk, la ville qui hébergeait alors le Shakhtar, n’est qu’à une centaine de kilomètres environ de la frontière russo-ukrainienne. Elle est la capitale de l’oblast (région administrative ukrainienne) de Donetsk.

C’est en 2014 que la situation évolue. L’Ukraine est tiraillée entre l’Union européenne et la Russie. Le pays est alors en négociations avec l’Union européenne pour un accord favorisant les échanges commerciaux. Un autre accord est alors proposé par la Russie, que le président ukrainien Viktor Ianoukovytch, pro-russe, privilégie. Cette décision provoque la colère des ukrainiens europhiles et entraîne la révolution de Maïdan. Dans le même temps, d’autres manifestations, pro-russes, vont avoir lieu dans les régions de Donetsk et de Louhansk. Le proche voisin russe réagit également en annexant la Crimée, en s’appuyant sur un référendum d’auto-détermination dont la reconnaissance est ardemment critiquée au niveau international.

Après la fuite de Ianoukovytch et l’élection du nouveau président Petro Porochenko, l’armée ukrainienne est déployée pour reprendre le contrôle de son territoire et des deux « oblasts » de Donetsk et de Louhansk, qui se sont autoproclamés républiques populaires après avoir pris le contrôle des capitales. Les séparatistes devenus depuis des milices, et aidés à titre informel par la Russie, repoussent les forces ukrainiennes. Après presque un an de combats particulièrement meurtriers, les deux parties signent les accords de Minsk II en 2015. Une tentative de cessez-le-feu qui réduit l’intensité du conflit mais qui n’arrête pas les combats d’une guerre qui aura fait plus de 13 000 victimes.

Le 21 février dernier, le président russe Vladimir Poutine reconnaît finalement la souveraineté des républiques autoproclamées de Donestk et Louhansk, puis a ordonné à son armée d’y aller pour « assurer la paix » et « protéger les ressortissants de ces deux républiques ». La première pierre de la justification russe de son agression militaire contre le territoire ukrainien trois jours plus tard, le 24 février.

Des « Mineurs » nomades

Voici donc le contexte qui explique les différentes difficultés rencontrées par le Shakhtar Donetsk depuis 2014. En effet, l’instabilité chronique de la région, depuis quasiment une dizaine d’années maintenant, a contraint le club à déménager pour pouvoir assurer sa survie et sa participation au championnat ukrainien. À la fin de la saison 2013-2014, les Mineurs délaissent pour de bon leur splendide « Donbass Arena », alors que Donetsk est bombardée, et s’est mué en un théâtre de combats de rue. À la fin du mois de juillet, après un match amical de pré-saison disputé à Annecy face à Lyon, six joueurs sud-américains, dont Douglas Costa, refusent de monter dans l’avion qui doit les ramener en Ukraine, et sont même portés disparus quelques heures; la tension est palpable.

À l’approche de la nouvelle saison, l’organisation du club est complètement bouleversée, et le premier stade dans lequel le Shakhtar peut à nouveau jouer « à domicile » est celui de Lviv, ville située à l’extrême opposé de Donetsk, proche de la frontière polonaise. Dépaysant, d’autant plus que l’équipe est basée et s’entraîne toute la semaine à Kiev, où les joueurs et leurs familles sont installés, et se rend en avion à Lviv pour disputer chaque rencontre.  Ainsi, le 30 septembre 2015, c’est bien à Lviv que le Paris Saint-Germain domine le Shakhtar en phase de groupes de Ligue des champions.

Une situation difficilement soutenable, comme l’indiquait Mircea Lucescu, le coach roumain de l’époque : « C’est très difficile, admet-il alors. On n’a pas assez de terrains d’entraînements, on n’a plus d’infrastructures permettant une récupération de haut niveau. On fait de notre mieux pour rester un club important en Ukraine et en Europe, mais ce n’est pas facile de jouer tous nos matchs comme à l’extérieur, sans nos supporters. »

Insubmersible Shakhtar

En 2016, nouveau déménagement dans le stade de la deuxième plus grande ville du pays, Kharkiv. Une nouvelle migration, qui ne perturbe pourtant que peu les Mineurs, qui remporteront le championnat national lors des quatre saisons passées dans l’enceinte de Kharkiv. Situé bien plus proche de Donetsk (près de 300 kilomètres tout de même), le club peut de nouveau compter sur l’appui de ses supporters durant cette période, comme le confiait à l’époque Sergei Palkin, président du Shakhtar, alors que l’installation à Kharkiv n’était encore qu’en pourparlers : « Les rencontres que nous avons disputées là-bas ont prouvé qu’il y avait de nombreux supporters du Shakhtar dans la région. Jouer là-bas nous permettra d’être plus proches de nos fans ». En 2020, empêtré dans la crise du Covid, le club doit déménager de nouveau, et son nouvel écrin n’est autre que l’antre de son plus grand rival : le stade olympique de Kiev, où évolue le Dynamo. L’ironie est réelle, le soulagement l’est tout autant ; pour la première fois depuis six ans, les Mineurs ne traverseront plus le pays chaque week-end pour recevoir leurs adversaires. Quant au Donbass Arena, stade emblématique de l’Euro 2012 accueilli par l’Ukraine, il est depuis déserté et endommagé par les explosions.

En plus d’être en exil depuis presque une décennie, le club a aussi perdu des ressources financières, puisque le mécène du club, l’oligarque ukrainien Rinat Akhmetov, a vu ses revenus issus de ses activités minières et métallurgiques au Donbass plonger depuis l’explosion du conflit. La superbe Donbass Arena, occupée depuis 2017 par les séparatistes, se dégrade tristement et portera peut-être à jamais les stigmates de l’affrontement, entre bombardements, incendies et délaissement quasiment total. Le Shakhtar a pourtant continué de faire illusion, en attirant l’ancien entraîneur côté de Sassuolo, Roberto De Zerbi, et il dominait encore le championnat ukrainien avant son interruption, à la fin du mois de février.

Malheureusement la guerre entre la Russie et l’Ukraine a éclaté et a ramené le club à la très dure réalité. Celle que face à l’horreur de la guerre le sport, tout comme les populations locales, ne peuvent rien.

Article rédigé avec Paul Citron

Sources :

https://www.sofoot.com/le-chemin-de-la-liberdade-des-bresiliens-du-shakhtar-donetsk-511706.html

https://eu.usatoday.com/story/sports/soccer/2017/01/30/still-in-exile-shakhtar-donetsk-picks-new-home/97235842/

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