Le 9 août 1942, les ukrainiens du FK Start remportaient à Kiev un match contre l’équipe de l’Allemagne nazie de la Flakelf. Une victoire symbolique qui sera tristement surnommée (et instrumentalisée) en » Match de la Mort « .
Retour en 1942.
Nous sommes alors en pleine Seconde Guerre mondiale.
L’Allemagne nazie dirigée par Adolf Hitler a lancé depuis le 22 juin 1941 l’opération Barbarossa, avec pour objectif l’invasion totale de l’URSS.
L’avancée éclair des nazis fait que rapidement la République socialiste soviétique d’Ukraine est envahie.
Notamment la ville de Kiev en septembre 1941.
Une arrivée sanglante.

Les 29 et 30 septembre l’actuelle capitale de l’Ukraine devient le théâtre du massacre de Babi Yar.
Un ravin proche de la ville où 33 771 Juifs seront exécutés par balles et jetés dans une fosse commune.
Après l’horreur, la vie se réorganise peu à peu à Kiev.
L’occupant nazi impose toutefois son autorité : l’ensemble des équipes soviétiques de football sont dissoutes.
Pour autant, un championnat est remis sur pied où s’affrontent des équipes de forces militaires.
C’est à ce moment qu’intervient Józef Kordić, nouveau directeur de la principale usine à pain de la ville et nommé par les nazis.
Malgré l’occupation, Józef n’en reste pas moins un nostalgique du Dynamo Kiev, club fondé en 1927 par la police politique soviétique.

Au hasard des rencontres dans une Kiev sinistrée, Kordić retrouve Nikolaï Troussevitch, l’ancien gardien du Dynamo.
Il lui offre un emploi dans sa boulangerie, et germe en lui une idée folle.
Celle de reconstituer une équipe locale pour remonter le moral à la population.
Troussevitch retrouve ainsi six anciens coéquipiers du Dynamo et trois joueurs du club du Lokomotiv Kiev.
Pour les sortir de la misère et donner toutes les chances à cette future équipe, Kordić leur offre un emploi dans sa boulangerie.
Avec ces anciens joueurs, Kordić parvient à monter une équipe qu’il part du rouge soviétique et qu’il nomme le FK Start, pour mieux symboliser ce nouveau départ.
L’équipe est ainsi intégrée au tout nouveau championnat organisé par les autorités nazies.

Plusieurs équipes allemandes sont présentes, ainsi que celles des forces d’occupation roumaines et hongroises.
Seules 2 équipes locales sont présentes : le Rukh Kiev, sélections de joueurs ukrainiens collaborant avec les nazis, et le FK Start.
La présence de ces différentes équipes aux nationalités différentes ne doit rien au hasard.
Les autorités nazies veulent montrer, à travers ce championnat de football, la « supériorité de la race aryenne » dans le sport.
À l’image des JO de Berlin de 1936.

Pourtant, tout ne va pas passer comme prévu.
Le 7 juin 1942, le FK Start dispute son 1er match et s’impose largement 7 buts à 2 face au Rukh Kiev.
Le 21 juin, l’équipe hongroise Ungarisches Garnisonsmannschaft est elle aussi battue à plate couture 6 buts à 2.
La prétendue « supériorité aryenne » est elle aussi mise à défaut.
Le FK Start remporte son match contre l’équipe de l’unité d’artillerie de la Wehrmacht 7 buts à 1.
Le 12 juillet 1942, les ukrainiens humilient l’équipe des travailleurs allemands 9 buts à 1.
Pire, le 6 août, le FK Start bat 5-1 la Flakelf, une équipe comportant des aviateurs de la prestigieuse Luftwaffe.
C’est en est trop pour les autorités nazies.
Agacées, elles décident d’organiser une sérieuse revanche, le 9 août et placardent la rencontre dans tout Kiev.

L’enjeu est de taille pour les officiels nazis.
Cette équipe de « boulangers faméliques » doit être remis à sa place, surtout qu’ils affrontent une sélection de soldats allemands bien nourris et mieux entraînés.
Ainsi, l’affiche du match est placardée dans tout Kiev.
Le 9 août, les joueurs du FK Start se présente donc de nouveau devant la Flakelf, dans un stade Zenit « rempli de 45 000 spectateurs ».
Avant la rencontre, l’arbitre, un officier SS, ordonne aux joueurs de faire un salut nazi.
Les ukrainiens, par défi, refusent.
Dans cette ambiance tendue, le match débute et c’est la Flakelf qui ouvre le score.
Malgré un arbitrage en faveur des occupants, les ukrainiens parviennent à renverser la vapeur grâce à l’ancien attaquant du Dynamo, Ivan Kouzmenko.
À la mi-temps, le FK Start mène 2-1.
À la reprise, le FK Start poursuit sa domination.
Olekisiy Klimenko parvient même à dribbler l’ensemble de l’équipe nazie.
Et, bien que Troussesevitch soit frappé violemment à la tête, les ukrainiens l’emportent 5 buts à 3.
Une photo est même prise entre les 2 équipes.

Les officiels nazis sont médusés.
Quelques jours après le match, la plupart des joueurs du FK Start travaillant à la boulangerie sont arrêtés et interrogés par la Gestapo, sous prétexte de liens présumés avec la police politique soviétique, le NKVD.
1 mois plus tard, 2 des joueurs (Aleksandr Tkatchenko & Nikolaï Korotkikh) meurent en prison.
8 autres joueurs sont déportés au camp Camp de concentration de Syrets.
Nikolaï Troussevitch, Ivan Kouzmenko & Alekseï Klimenko y seront exécutés froidement en février 1943.

L’écho des succès du FK Start et les meurtres des joueurs vont être repris par la propagande soviétique.
Pour que le courage de ces nouveaux martyrs attise la haine contre l’occupant nazi et revigore le patriotisme durant la guerre.
Ainsi un mythe est forgé autour de cette équipe qui défie l’Allemagne nazie.
Le 9 août, des officiels nazis seraient rentrés à la mi-temps dans le vestiaire des joueurs du FK Start et les auraient menacés de les exécuter si ils ne laissaient pas gagner l’équipe adverse.
La presse soviétique va consolider cette légende, notamment en 1944 où le journal du Transbaïkalie publie l’histoire sous forme de feuilleton.
Cela sera le cas après la guerre avec les films de 1962 « 3e mi-temps » d’Evgueni Karelov et « 2 mi-temps en enfer » de Zoltán Fábri.

Pour les principaux intéressés, la vérité est tout autre.
Le rescapé du FK Start Makar Gontcharenko dira 70 ans plus tard :
» Ils ne sont pas morts parce qu’ils étaient de grands footballeurs ou des joueurs du Dynamo.
Ils sont morts comme beaucoup d’autres Soviétiques parce que deux systèmes totalitaires s’affrontaient.
Ils ont été victimes de ce massacre à grande échelle.
La mort des joueurs n’est pas très différente de celles de beaucoup d’autres gens. «
FIN
Kévin Veyssière
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