Le Sheriff Tiraspol a l’occasion ce soir de se qualifier pour les groupes de l’Europa League. Bien que moldave sur le papier le club de Tiraspol fait partie d’un « pays qui n’existe pas », la Transnistrie. Ce club de plus en plus médiatique met en lumière un territoire, proche de la Russie de Vladimir Poutine, au coeur de l’actualité et des enjeux de la Guerre en Ukraine.

Mais qu’est ce que la Transnistrie ?
Officiellement il s’agit d’une région autonome de la Moldavie.
Officieusement, depuis 1991 et sa déclaration d’indépendance, la Transnistrie est en fait un « Etat fantôme », non reconnu par l’ONU et ses Etats membres.
Pourquoi cette situation ?
Pour le comprendre, il faut se plonger dans l’Histoire.
L’URSS crée en 1924 la république socialiste soviétique (RSS) autonome de Moldavie et l’inclue dans la RSS d’Ukraine.

L’Union soviétique cherche alors à créer une nation moldave, pour conquérir la région de la Bessarabie, qui appartient alors à la Roumanie.
Cette région sera finalement annexée par l’URSS lors de la Second Guerre Mondiale, pour ainsi créer la RSS de Moldavie le 2 août 1940.
L’URSS va alors « soviétiser » la Moldavie en faisant du russe la langue officielle.
La région de la Transnistrie quant à elle va devenir le coeur économique et industriel du pays, avec comme ville stratégique : Tiraspol.
L’éclatement de l’URSS au début des années 1990 va tout changer.
La Moldavie proclame son indépendance le 27 août 1991 et fait du roumain sa langue officielle.
La Transnistrie, russophone, déclare son indépendance le 5 nov. 1991 sous le nom de « République moldave du Dniestr ».
La Moldavie tente de reprendre cette région sécessionniste, mais finalement la Guerre du Dniestr éclate en 1992.
Au bout de 4 mois de conflit, un cessez-le-feu est signé 21 juillet 1992.
La Transnistrie, soutenue par la Russie, maintient de facto son indépendance.

Aujourd’hui, la Transnistrie n’est pas reconnue comme Etat ni par l’ONU ni même par la Russie.
Toutefois Moscou préserve des liens forts avec ce territoire de 500 000 habitants pour ainsi maintenir une influence dans l’ex espace soviétique d’Europe de l’Est.
La Russie dispose là-bas d’une base militaire, 22 000 tonnes de munitions et 1 500 soldats russes stationnés de manière permanente.
Elle soutient économiquement (70% du PIB) une région qui a pour principaux leviers l’industrie lourde et le trafic d’armes.
Moscou poursuit ainsi sa stratégie d’élargir son influence en Europe de l’Est.
Comme c’est le cas avec le soutien de territoires sécessionnistes (Abkhazie, Ossétie du Sud en Géorgie et Donetsk, Louhansk en Ukraine) en allant même jusqu’à l’annexion, avec la Crimée en 2014.
La Transnistrie se révèle d’ailleurs un nouvel enjeu stratégique depuis que la Russie de Vladimir Poutine a lancé une guerre contre l’Ukraine le 24 février dernier.
Un territoire, vestige de l’époque soviétique, proche politiquement de Moscou et géo. de l’Ukraine, et surtout du port d’Odessa.
En effet, depuis un référendum en 2006, 97% de la population de la Transnistrie souhaite rejoindre la Russie.
Une position inchangée depuis le début de la #GuerreEnUkraine ce qui fait craindre le risque de l’ouverture d’un deuxième front.
Dans ce contexte, le club du Sheriff Tiraspol relève donc d’un enjeu bien particulier.

Bien que le club soit présent dans l’officieuse « République moldave du Dniestr », le Sheriff évolue dans la ligue moldave de football.
Il en est même le club le plus médiatique.
Il faut dire que l’an dernier, lors de la saison 2021-2022, le Sheriff Tiraspol est devenu le 1er club moldave de l’Histoire à participer aux groupes de Ligue des Champions.
Avec à la clé des victoires de prestige contre le Real Madrid et le Shakhtar Donetsk.
Si le club de Tiraspol évolue à un si haut niveau, il le droit en grande partie à la puissance entreprise qui a fondé le club en 1997 : Sheriff.

Fondé en 1993 par V. Gushan, ancien membre du KGB, le conglomérat Sheriff contrôle aujourd’hui la majorité des entreprises de la région (stations-service, supermarchés, médias, spiritueux).
En 2015, 1/3 du budget transnistrien avait été versé à des entreprises du groupe Sheriff.
Ainsi, grâce à ses assises financières, le Sheriff Tiraspol peut recruter des joueurs étrangers alors que les autres clubs moldaves sont composés de joueurs locaux.
Le Sheriff compte dans son effectif actuel plusieurs joueurs d’Amérique du Sud, d’Afrique et des Balkans.
Le club dispose aussi de grandes infrastructures avec son stade, le Sheriff Stadium de 12 000 places, et son complexe sportif moderne de 40 hectares.
Pour B. Irles, ancien coach là-bas « Ce sont des infrastructures qui sont hors normes par rapport au championnat moldave ».

Le Sheriff Tiraspol écrase donc la concurrence depuis 1998 :
- 11 Coupes de Moldavie
- 20 titres de Champion de Moldavie
Le club n’a d’ailleurs plus perdu le championnat depuis 2016.
De par ses performances, notamment en Coupe d’Europe, le club de Tiraspol attire donc la lumière sur toute la région de la Transnistrie.
Alors que la Guerre en Ukraine fait toujours rage et qu’un scénario de prise en tenaille de l’Ukraine est toujours redouté.

La Transnistrie, bien que toujours neutre dans le conflit, n’en demeure pas moins un enjeu.
La région russophone reste voisine de la Moldavie qui, craignant pour son intégrité, a entamé les démarches pour adhérer à l’UE.
La Guerre en Ukraine menée par la Russie n’ayant toujours pas cessé, la Transnistrie n’a donc pas fini d’être dans l’actualité.
Son représentant le plus visible, le Sheriff Tiraspol, sera donc loin d’être un simple club lors des ses prochaines sorties européennes.
Le contexte politique a d’ailleurs rattrapé le contexte sportif puisque le 24 juin dernier l’UEFA a annoncé qu’aucun match des compétition UEFA ne sera disputé en Transnistrie en raison de la situation dans la région.
Le Sheriff joue donc cette année ses matchs européens non plus à Tiraspol, capitale de la Transnistrie, mais à Chisinau, capitale de la Moldavie, au Zimbru Stadium.
FIN
Kévin Veyssière
Pour aller plus loin :
Le Dessous des Cartes : Transnistrie
La Transnistrie, une région russophone entre Moldavie et Ukraine – France Info
Transnistrie : entre Russie et URSS | ARTE Reportage