Bonaire – Pedro Rodriguez « on a réussi à créer un vrai collectif »

Rencontre avec Pedro Rodriguez, entraîneur adjoint de l’équipe nationale de Bonaire, île des Caraïbes de 22 000 habitants et commune à « statut particulier » des Pays-Bas.

Le football touche chaque partie du monde, à tel point que la FIFA compte, avec 211 fédérations membres, plus de pays que l’ONU. C’est le cas notamment de Bonaire, île des Caraïbes qui est une “commune à statut particulier des Pays-Bas” de 22 000 habitants. Pourtant, du fait de sa relative autonomie, ce territoire néerlandais a réussi à devenir un membre de la CONCACAF et son équipe nationale peut ainsi jouer contre d’autres sélections d’Amérique du Nord, d’Amérique centrales et des Caraïbes.

Une sélection qui ne cesse de progresser dans le monde des “petites sélections”. Surtout, pour la première fois de son histoire ce mercredi 29 mars, Bonaire joue à domicile (face à Turks & Caicos) puisque son stade « Stadion Antonio Trenidad » vient d’être homologué. Rencontre avec Pedro Rodriguez, un passionné espagnol de football, qui est devenu un peu par hasard l’un des membres du staff de cette sélection :

Salut Pedro. Ce qui se passe en ce moment avec la sélection de Bonaire est extraordinaire (1er de son groupe de Ligue des Nations). Comment expliquez vous qu’une si petite île arrive à rivaliser avec d’autres équipes nationales, avec pourtant plus de population et d’expérience ?

Ça a été une évolution extrêmement rapide. La façon que nous avons de travailler avec cette équipe nationale est très différente que lorsque l’équipe a été créée en 2014. Des joueurs peuvent en témoigner car certains sont là depuis le début de l’aventure. On a en tout cas essayé d’apporter une évolution au niveau de la préparation physique et mentale. 

Après ce qui a pu jouer c’est qu’il y a beaucoup de passion de la part des joueurs, une grande fierté de jouer pour Bonaire et cette petite île. Les joueurs voient cette sélection comme une opportunité de pouvoir jouer au niveau international. De par mes expériences avec d’autres “petites” sélections, j’ai aussi pu un peu leur transmettre ce que cela  signifiait de jouer pour une équipe nationale. 

Bonaire arrive à faire mieux qu’une autre sélection aux influences néerlandaises, Aruba, alors que cette île compte plus de 100 000 habitants. Quel est votre secret ?

Il n’y a pas de secret. C’est du travail, du travail et encore du travail. Personnellement, j’ai toujours rêvé de travailler pour une équipe nationale. On m’aurait dit encore il y a quelques mois que je bosserai pour Bonaire je n’y croirai pas. Maintenant que je vis mon rêve, je travaille à 200% pour l’équipe. Je passe chaque heure de la journée pour cette équipe. Comme je le fais par passion, je ne vois pas le temps passer. C’est un peu naïf, mais je pense que si vous faites les choses avec du coeur, le résultat se produira un jour sur le terrain.

Des sélections aux influences néerlandaises comme Curaçao ou Suriname s’appuient sur leur diaspora aux Pays-Bas. Est-ce le cas de Bonaire ?

Non, nous avons seulement 5 joueurs qui évoluent à l’étranger. 18 des 23 joueurs appelés jouent donc dans la ligue locale. Seulement 2 joueurs n’ont jamais joué dans un club de l’île. C’est peut-être cela qui fait aussi la différence. On a réussi à créer un vrai collectif. Nous avons le temps tout au long de l’année de suivre les joueurs et de bien nous préparer avec eux. Les autres joueurs qui viennent de l’étranger nous apportent évidemment un plus en termes d’expérience, mais la base c’est d’avoir déjà un collectif solide.

Comment est structuré le football à Bonaire ?

La ligue de Bonaire est composée de dix équipes. Une nouvelle vient aussi d’être créée. Le champion de la ligue se qualifie pour le Caribbean Club Shield, le deuxième tournoi de la Caribbean Football Union. Mais c’est surtout l’équipe nationale qui permet de promouvoir les joueurs. Par exemple, on a Ayrton Cicilia, qui joue pour l’un des meilleurs clubs du pays Real Rincon, et qui est l’un des meilleurs buteurs de la Ligue des Nations CONCACAF avec 5 buts. C’est mieux que Pulisic avec les Etats-Unis (rires). Ce sont les performances en équipe nationale qui donnent une grande exposition aux joueurs de Bonaire.

C’est la star de l’équipe Ayrton Cicilia ?

Je ne pense pas qu’il y ait un joueur au-dessus du-lot. En regardant la situation depuis l’extérieur, on peut penser qu’Ayrton Cicilia est la force de l’équipe puisqu’il est le meilleur buteur de l’histoire de l’équipe nationale. Mais Ayrton ne peut pas jouer seul contre 11 joueurs. Notre force ce n’est pas un seul joueur, notre force c’est d’être un groupe et de ne faire qu’un.

Comment les autorités de Bonaire vous aident elles à promouvoir le football dans l’île ?

Les choses bougent pas mal. Par exemple, nous n’avions jamais eu de stade approuvé par la CONCACAF pour jouer des matchs officiels. Et désormais, grâce au gouvernement et aux réformes, nous y sommes parvenus. On va pouvoir jouer un match officiel à Bonaire pour la première fois de notre histoire ! Ça va être un grand moment pour toute l’île. Si l’engouement populaire et les performances sont là, cela convaincra les autorités politiques de continuer à aider le football local.

Parlons maintenant un peu de vous. Comment un jeune espagnol comment vous a réussi à intégrer le staff de l’équipe nationale de Bonaire ?

J’ai un diplôme en journalisme sportif et j’ai travaillé pour pas mal d’équipes de divisions inférieures espagnoles, notamment en tant qu’entraîneur. J’ai surtout toujours ressenti une passion particulière pour le football disons inconnu et exotique. J’ai voyagé dans des endroits méconnus pour en apprendre davantage sur ce football que l’on connaît moins : Coupe d’Asie, Coupe d’Afrique, dans des petits pays européens comme Saint-Marin, Andorre, Liechtenstein, Gibraltar… 

Un certain intérêt pour les petites sélections alors ?

Oui. Et l’un des voyages que j’ai fait était aussi sur l’île d’Anguilla, dans les Caraïbes, pour voir quatre matchs de la Concacaf Nations League en 2019. Ce voyage a été celui qui a changé ma vie car c’est là-bas, en regardant un match de Bonaire, que j’ai rencontré une personne du staff de l’équipe nationale. Je leur ai parlé et ils ont été surpris qu’un espagnol ait fait tout ce chemin pour les voir. On a gardé contact et quelques années plus tard j’ai eu l’opportunité de rejoindre les équipes d’entraîneurs de la sélection nationale de Bonaire. 

C’est grâce notamment au sélectionneur de Bonaire, Mauricio Tobón, que j’ai pu intégrer l’équipe. C’est l’une des personnes les plus inspirantes que j’ai rencontrées dans ma vie. Il ne m’a pas vu comme un imposteur. Il a compris mon projet, ma passion et il m’a donné ma chance. Et aujourd’hui je travaille pour l’équipe nationale.

Quel est l’engouement local autour de l’équipe nationale ? Peut-on y voir une opportunité pour les jeunes joueurs locaux ?

J’ai été très surpris par l’enthousiasme des habitants avec l’équipe nationale. Lorsque nous avons inauguré le nouveau stade, tous les billets se sont vendus rapidement et 3 000 personnes sont venues assister au match amical d’ouverture. L’ambiance était folle.

On a une belle génération de jeunes joueurs qui arrivent. Notre équipe U17 a presque failli se qualifier pour le tournoi CONCACAF mais on a terminé 1er ex aequo avec les Bermudes qui avait une meilleure différence de buts. C’est très encourageant pour la suite avec cette belle génération.

Les demandes de Bonaire pour rejoindre la FIFA ont pour l’instant été rejetées. Est-ce que les bonnes performances de l’équipe permettront de changer les choses ? Y a-t-il un blocage avec les Pays-Bas ?

Je pense qu’il ne faut pas lier entièrement les performances sportives de Bonaire avec une éventuelle adhésion FIFA. La question est plutôt une question politique, de savoir si Bonaire a suffisamment d’autonomie vis-à-vis des Pays-Bas pour adhérer à la FIFA. La dernière fois que nous avons demandé l’adhésion, cela avait été refusé car nous dépendons des Pays-Bas.

Cela serait formidable en tout cas pour nous de pouvoir adhérer à la FIFA, cela permettrait de développer nos infrastructures et de pouvoir jouer les éliminatoires de la Coupe du Monde. Mais concentrons nous déjà sur le présent. Nous avons un stade homologué par la CONCACAF et nous devons faire des grandes performances à domicile, dès ce soir. Et à force de résultats, cela atteindra les oreilles de la FIFA.

Interview réalisée par Kévin Veyssière

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.