Alors que le doute plane sur le déroulement de l’ensemble des compétitions sportives à venir, il en est une qui aura également son importance dans quelques mois. Du 30 mai au 7 juin 2020 se déroulera la Coupe du Monde de la CONIFA, un tournoi international de football pour les « États », les minorités, les apatrides et les régions non affiliées à la FIFA, dont les Îles Chagos.

Pour la troisième fois de leur histoire, les Îles Chagos seront de cette aventure. Un événement incontournable pour ce peuple de l’Océan Indien qui a été expulsé de son territoire il y a de cela 50 ans par le Royaume-Uni. Un événement incontournable pour mettre en lumière le drapeau, la population et la culture chagosssienne, alors que l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté en 2019 une résolution, non contraignante mais de grande valeur politique, donnant six mois à Londres pour procéder à la rétrocession des Îles Chagos à l’Île Maurice. Rencontre avec l’un des artisans de cette épopée footballistique, Jimmy Ferrar, l’entraîneur de l’équipe des Îles Chagos.
Salut Jimmy. Comment vous êtes vous retrouvé à devenir entraîneur des Îles Chagos ?
Un peu par hasard. J’étais entraîneur dans les ligues anglaises non professionnelles l’année dernière et j’avais décidé de passer un peu de temps loin du football. Et puis avec ma partenaire nous venions d’avoir notre deuxième enfant. J’étais dans ma deuxième semaine de congés sabbatiques, quand j’ai échangé avec Sabrina*. On m’a demandé alors d’entraîner l’équipe pendant quelque temps, et finalement j’en suis devenu le sélectionneur.
*Sabrina Jean est présidente de la fédération de football ainsi que de l’association des réfugiés des Îles Chagos
Quel était votre parcours avant d’entraîner les Îles Chagos ? Avez-vous d’ailleurs un lien particulier avec ce territoire ?
J’ai joué dans les ligues anglaises de football non professionnelles, puis j’ai occupé un poste de manager dans une équipe de jeunes basé à Crawley, appelée Furngate FC. Ensuite j’ai entraîné l’équipe d’Oakwodd FC (10ème division anglaise*) où nous sommes passés de candidats à la relégation à candidats à la montée. J’ai poursuivi ma progression dans cette ligue en entraînant le Crawley Down Gatwick FC puis Alfold FC, équipe avec laquelle j’ai remporté la ligue en 2019 avant que je prenne mon congé sabbatique. Après concernant les Îles Chagos, je connaissais personnellement quelques joueurs, ainsi que leur histoire, mais maintenant je comprends encore mieux la complexité et l’émotion autour de la reconnaissance des chagossiens et de leurs îles.
*La Première Division de la Southern Combination Football League est une ligue de football anglaise non professionnelle couvrant largement les comtés d’East Sussex, West Sussex et du sud-est de Surrey, en Angleterre.
C’était une vocation pour vous de devenir entraîneur ?
Depuis que je suis jeune, je suis obsédé par le football et je le suis toujours. Ma vie tourne quotidiennement autour de cette passion. Si je ne suis pas avec mes enfants à la maison, vous pouvez être sûr de me voir sur le bord d’un terrain ou bien quelque part à bosser autour de l’équipe de football des Îles Chagos. Entre la collecte de fonds, le coaching, le travail de scouting… c’est sans fin.
L’équipe des îles Chagos existe depuis près de 10 ans, depuis son premier match contre l’équipe de football de Raetia. Comment faites-vous pour être attentif sur le recrutement de nouveaux joueurs et garder un œil sur les potentiels joueurs aux origines chagossiennes qui pourraient rejoindre l’équipe?
L’équipe est strictement réservée aux joueurs chagossiens. J’ai de la chance que ma présidente soit également présidente du groupe de réfugiés des Îles Chagos, elle connaît tout le monde. Il y a aussi beaucoup d’acteurs à Maurice et aux Seychelles, mais pour l’instant je dois trouver les financements et les moyens pour aller voir les joueurs potentiels, et même pour qu’ils viennent plus tard s’entraîner et jouer avec nous au Royaume-Uni. Par exemple, nous avons 7 joueurs éligibles qui jouent tous dans la Super Ligue mauricienne et pourraient voyager avec nous pour la Coupe du Monde mais nous ne pouvons pas les prendre en raison des coûts de déplacement. J’ai d’ailleurs un livre où je tiens une grande liste de tous les joueurs éligibles avec lesquels je reste en contact à intervalles réguliers. Je suis aussi bien aidé par une grande équipe d’analyse et de coaching que j’utilise et que je charge de surveiller de près certains joueurs. Enfin, je passe aussi par les familles des joueurs, pour voir où il pourrait y avoir un cousin ou un membre de la famille quelque part en Europe, qui pourrait être potentiellement sélectionnable.

L’équipe des îles Chagos va participer à sa troisième Coupe du Monde et il y a une progression dans les résultats, avec plusieurs victoires encourageantes. Quel a été le parcours de l’équipe pour se qualifier? Quelles sont les ambitions de l’équipe malgré un groupe solide, qui comprend les Paroissiens de Jersey, le Kurdistan et le Pendjab ?
Il s’agit de la troisième Coupe du monde et nous sommes plus que jamais optimistes. L’objectif que je me fixe avec l’équipe, c’est que nous remportions deux matchs et aussi d’atteindre les phases éliminatoires Nos résultats se sont considérablement améliorés, et c’est grâce à une meilleure discipline dans notre préparation des matchs. Le chemin pour les qualifications a toutefois été difficile. Pour obtenir le ticket mondial*, nous avons joué 10 matchs de qualification. Avec la configuration de la CONIFA, une victoire vaut 3 points, un nul 2 points et une défaite 1 point. Et si vous affrontez une équipe membre de la CONIFA, ces points sont multipliés par 4. Vous obtenez donc des points pour avoir perdu aussi. Et au total nous avons eu 43 points en gagnant 4 matchs, en faisant 1 nul et en perdant 5. Cela nous a permis décrocher le ticket mondial pour aller en Macédoine.
*Pour se qualifier pour la Coupe du Monde de la CONIFA, il faut soit être qualifié par les éliminatoires par zones régionales, être l’ancien champion du monde, être invité par wild card ou bien récolter suffisamment de points sur une saison pour obtenir le ticket mondial.
Tout a long de cette phase qualificative, est-ce que vous avez demandé des conseils aux autres entraîneurs des équipes membres de la CONIFA ?
Non, je ne l’ai pas fait. Comme je vous l’ai dit tout est allé très vite, je quittais à peine l’équipe que je dirigeais quand deux semaines après je discutais avec Sabrina pour entraîner les Îles Chagos. J’ai échangé avec elle sur Twitter, puis on s’est parlé de visu, puis j’ai fait 2-3 semaines d’entraînement et tout est parti de là. Après je suis très attaché à ma façon de faire, donc je ne suis pas du genre à demander directement des conseils. Je préfère dans un premier temps apprendre en regardant, en observant.
D’ailleurs comment tout cela s’organise au jour le jour ? Disposez-vous d’infrastructures et de moyens particuliers pour vos entraînements ?
C’est assez cadré. Nous nous entraînons dans le West Sussex, juste à l’extérieur de Londres, où la plupart de nos joueurs vivent et nous avons maintenant une organisation très professionnelle et structurée avec des entraîneurs pour les gardiens, des préparateurs physiques, des entraîneurs de fitness. Tout est fait pour nous aider à nous professionnaliser et à mieux préparer les garçons. Nous nous entraînons tous les jeudis et comme tous les joueurs ont des équipes de club, j’essaie de les prévenir quatre semaines à l’avance le jour où nous jouons des matchs. Maintenant on passe en phase d’entraînement pré-Coupe du Monde et nous nous entraînons trois fois par semaine.

Quelles sont vos prochaines échéances avant la Coupe du Monde ?
Il faut déjà que nous allions physiquement à la Coupe du Monde. Nous avons plus de 10 000 £* à collecter pour nous aider à voyager et à nous rendre en Macédoine du Nord. Ensuite la deuxième échéance, c’est vraiment de choisir les joueurs que je sélectionne pour l’équipe et je le ferai mi-avril. D’ici là, on se concentre vraiment sur l’entraînement car nous savons que peu d’autres équipes peuvent s’entraîner trois fois par semaine à cause des soucis logistiques. On va donc mettre toutes les chances de notre côté pour être l’équipe la plus forte en terme de préparation physique, histoire d’avoir un avantage.
*La fédération de football des Îles Chagos a d’ailleurs mis en ligne une campagne de crowfunding : https://www.justgiving.com/crowdfunding/chagos-island
Est-ce que vous voyez entraîner encore les Îles Chagos après cette Coupe du Monde ?
Oui, je vois cela comme un projet à long terme et on peut vraiment faire quelque chose de positif avec les Îles Chagos.
Les Îles Chagos ont une histoire méconnue et pourtant passionnante. Les îles sont officiellement classées inhabitées après que le gouvernement du Royaume-Uni a expulsé de force toute la population pour faire place à une grande base militaire américaine, et rendre illégal le retour sans autorisation militaire. Pourtant en mai 2019, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté à une résolution pour que le Royaume-Uni rétrocède les îles Chagos à l’île Maurice. Dans quelle mesure le football peut-il participer à l’évolution de la situation?
Nous essayons de rester à l’écart des questions politiques et de nous assurer que l’équipe soit surtout performante sur le plan sportif. Mais en tout cas l’équipe de football permet de diffuser l’histoire des Îles Chagos, pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli. C’est ça le plus important.
Que pourriez-vous nous dire, enfin, pour nous convaincre d’aller en Macédoine du Nord en mai prochain, pour soutenir les îles Chagos ?
Nous sommes de loin la plus petite nation en terme de population, les chagossiens sont environ 10 000 alors que certaines équipes représentent des millions d’habitants. En venant en Macédoine, vous soutiendrez le petit poucet de la compétition, la plus petite nation du football.

Pour en savoir plus sur l’équipe de football et le combat du mouvement des réfugiés des Chagos : http://theislandreview.com/content/chagos-islands-football-team
Pour soutenir la sélection des Îles Chagos en vue de leur participation à la Coupe du Monde : https://www.justgiving.com/crowdfunding/chagos-island