Depuis maintenant plus de 250 ans et la première crise diplomatique de 1770, les îles Malouines, îles Falkland pour les britanniques, sont l’objet de querelles plus ou moins virulentes entre le Royaume-Uni, qui les contrôle officiellement depuis 1833, et l’Argentine. Une rivalité qui va éclater au grand jour le 2 avril 1982 sur le terrain militaire et le 22 juin 1986 sur un terrain de football.
Le petit archipel des Malouines (environ 3500 habitants) se situe au large de la Patagonie et des côtes argentines, et est éloigné d’environ 1200km de la Péninsule Antarctique ; revendiqué quasiment depuis sa découverte, il a installé un climat de tensions entre les deux pays. La rivalité qui est née de ce différend s’est dessinée sur plusieurs plans : elle a pris la forme de guerre matérielle en 1982, celle de guerre des mots lors de la dernière décennie avec des sorties médiatiques à distance entre les deux gouvernements, mais a également développé une rivalité footballistique des plus chargées en matches d’anthologie. Traçons ensemble la récente histoire commune de ces deux nations, qui s’est écrite aussi sur le rectangle vert.

Revenons en 1982, sous la dictature militaire argentine instaurée par le général Videla en 1976. Le pouvoir peine à unifier le pays, qui subit depuis plus de 30 ans des troubles politiques et sociaux très violents ; le peuple ne donne aucun crédit au régime en place et ne parvient pas à sortir de la misère qui est la sienne. En quête de légitimité aux yeux de leur population, et guidés par des velléités expansionnistes, les dirigeants militaires lancent le projet séducteur de « l’Argentine bicontinentale », qui permettrait au pays de s’étendre jusqu’en Antarctique et de devenir une puissance régionale incontestable. Les Malouines sont un point de départ tout trouvé à ce projet de conquêtes, car elles constituent la porte d’entrée sur l’Antarctique et sont déjà très symboliques dans l’imaginaire argentin.
C’est ainsi que le 2 avril 1982, l’opération Rosario débute, et des soldats débarquent sur l’archipel britannique. Les Conservateurs au pouvoir à Londres, menés par leur Première Ministre Margaret Thatcher, sont pris de court par cette attaque militaire, qui contredit tous leurs renseignements ; le gouvernement est d’abord accusé de négligence. Mais la Dame de Fer va construire sa légende en réagissant en moins d’une semaine militairement, et seulement 2 mois plus tard, le 14 juin, les armées argentines sont contraintes de signer la paix. Cette guerre, qui n’en a pas été une officiellement, fait environ 1000 morts, mais surtout aiguille les deux belligérants sur des chemins opposés. Thatcher confirme sa réputation de leader de guerre intransigeante, et est réélue l’année suivante à la tête du gouvernement ; de son côté, l’Argentine s’embourbe dans une énième crise politique, qui débouche finalement sur l’avènement d’un système démocratique avec à sa tête Raúl Alfonsín – en 1983 également.

3 ans plus tard, en 1986, ce sont donc 2 démocraties, qui n’ont toujours pas rétabli leurs relations diplomatiques, qui se présentent en sérieux prétendants à la victoire au Mondial mexicain. Diego Maradona, 26 ans, est au sommet de son art et porte une par ailleurs solide Albiceleste, alors que l’équipe nationale anglaise compte des joueurs de renom en grande forme comme Gary Lineker ou Bryan Robson. Après des phases de poule relativement tranquilles, les deux équipes impressionnent par leur maîtrise en huitièmes de finale respectivement face à l’Uruguay (1-0) et au Paraguay (3-0), et le 22 juin, dans le stade de Mexico, se présente la première confrontation entre les deux nations depuis l’affrontement des Malouines.
Une confrontation pimentée par les déclarations sulfureuses des joueurs argentins : Nery Pumpido, le portier de l’Argentine, prévient : « Battre les Anglais sera une double satisfaction pour ce qui s’est passé aux Malouines ». The Sun annonce ‘le débarquement de 5000 hommes’ en référence aux supporters anglais qui ont fait le déplacement. Il est midi à Mexico, la chaleur est étouffante, des drapeaux anglais finissent de brûler dans les tribunes qui abritent 115 000 personnes. Un match de légende peut commencer.

Le match est guerrier, rugueux. Les consignes sont claires du côté britannique : ne pas laisser d’espace au prodige Maradona, et le dissuader de garder le ballon. Le numéro 10 argentin n’est pas épargné, et la première période, plaisante malgré tout, se termine sur un score nul et vierge. Mais dès le retour des vestiaires, à la 51ème minute, premier coup de tonnerre.
Sur un ballon très mal dégagé et une sortie peu assurée de Peter Shilton, le gardien anglais, Maradona se jette, saute et touche le ballon de la main gauche pour marquer. M. Bennaceur, guidé par son assistant et pourtant impeccable d’un bout à l’autre de cette houleuse rencontre, commet une erreur manifeste ; le but est validé, la ‘Mano de Dios’ (Main de Dieu, des dires du meneur de jeu argentin) est née.

3 minutes plus tard, nouveau but magistral du ‘Pibe de Oro’ (Gamin en Or), dans les règles celui-ci. 10 secondes, 50 mètres, 6 joueurs éliminés : Maradona marque le ‘Gol del Siglo’ (But du Siècle), au grand bonheur du commentateur argentin au bord de l’orgasme qui le qualifie en direct de « cerf-volant cosmique ». Lineker dira même qu’il a « eu envie d’applaudir » à un but adverse, pour la seule fois de sa carrière.
C’est lui qui réduira la marque de la tête à la 81ème minute, mais le sort du match est scellé : l’Argentine, grâce à un Maradona diaboliquement génial, élimine l’Angleterre et s’en va remporter le trophée après des victoires face à la Belgique (2-0, doublé de Maradona) et l’Allemagne de l’Ouest (3-2). Maradona est élu meilleur joueur du tournoi avec 5 buts et 5 passes, Lineker se console en emportant le trophée de meilleur buteur (6 buts en 5 matches et sur les 7 de son équipe au total, performance de haut vol). L’Argentin dira plus tard : « Nous avions dit qu’il ne fallait pas mélanger football et politique, mais c’était un mensonge. J’ai fait main basse sur le ballon pour me venger des Anglais qui avaient fait main basse sur les Malouines ».

D’ailleurs, ce n’est pas l’unique rencontre marquante entre les deux équipes.
En 1991, pour un match amical à Wembley, Maradona sort des vestiaires avec le ballon ostensiblement tenu dans sa main gauche et est hué par la foule. Pendant la Coupe du Monde 2002, certains supporters Anglais sifflent l’hymne argentin. Mais si la dernière opposition footballistique date de 2005, le conflit géopolitique pur reste brûlant et pourrait évoluer prochainement, en raison des derniers événements politiques au Royaume-Uni.
En effet, le conflit latent a connu un regain d’énergie au début de la décennie, lorsqu’en 2012, 30 ans après l’affrontement, l’Argentine a commémoré en grande pompe les victimes du conflit avec notamment un discours à Ushuaïa de la Présidente de la République alors en place, Cristina Kirchner. Cette dernière a d’ailleurs, par ses nombreuses sorties médiatiques anti-Britanniques et sa position ferme dans le dossier malouin, contribué à raviver les tensions. Très récemment, Mauricio Macri (ex-Président) avait indiqué le 2 avril 2019, encore une fois pour la cérémonie de commémoration, que “revendiquer la souveraineté est légitime et inaliénable. Cela nous unit nous, les Argentins, au-delà de nos différences”.
Pourtant, a eu lieu en 2013 un référendum d’autodétermination qui a abouti à un résultat sans équivoque : 99,8 % des Malouins ont répondu Oui à la question : « Souhaitez-vous que les îles Falkland conservent leur statut politique actuel en tant que territoire d’outre-mer du Royaume-Uni ? », sur 1518 votants, ce qui donne un risible bilan de 3 votes d’opposition sur l’ensemble de l’île. Kirchner s’était de toute manière empressée de prévenir que l’Argentine ne reconnaîtrait pas le résultat.

Mais alors, pourquoi tant de virulence de la part des deux pays pour un si petit archipel ? Et pourquoi le conflit est-il encore loin d’arriver à son terme ? La raison est d’une part stratégique et historique : situé à un carrefour commercial maritime de plus en plus emprunté, l’archipel engrange des revenus de douane qui sont une manne financière sûre et vouée à croître.
Au-delà de l’aspect financier, les Falkland forment un point d’ancrage intéressant pour le Royaume-Uni à l’heure de l’émergence entamée du continent sud-américain ; mais surtout, les Falkland sont devenues par ce conflit un symbole de la résistance britannique à l’étranger et loin de ses bases. Le risque de devoir affronter un débat similaire avec Gibraltar et l’Espagne, si les Malouines étaient rendues, est à prendre en compte ; ces territoires sont plus importants qu’ils n’y paraissent simplement sur le plan économique.

De plus, les eaux territoriales sont extrêmement riches en ressources maritimes. Des gisements de pétrole ont été découverts en 2010, qui ont engendré des procès pour les compagnies les exploitant par le gouvernement Kirchner – l’Argentine, voyant ses dépenses en énergie augmenter drastiquement, aurait tout intérêt à acquérir ces ressources. La zone est également riche en ressources halieutiques, la pêche constituant d’ailleurs le cœur de l’économie de l’archipel (plus de 50 % de son PIB).
C’est ici que le Brexit entre en ligne de compte : comme leurs exportations sont à 89 % destinées à des pays européens (les calmars vers l’Espagne notamment!), la restauration des tarifs douaniers serait une grosse épine dans le pied des pêcheurs malouins. D’autre part, la fantastique biodiversité qui fait le charme de ces îles, qui attirent de plus en plus de touristes, risque de souffrir du manque d’aides européennes essentielles jusqu’ici à son bon entretien. Enfin, l’élevage de moutons très développé de l’archipel pourrait lui aussi, par effet domino, pâtir de la sortie de l’Union en voyant le débouché métropolitain encombré, car le Royaume-Uni ne pourra plus exporter autant de viande vers l’Europe qu’il ne le faisait jusqu’ici.

Alors, le Brexit va-t-il pousser les îles Malouines à se défaire de son statut de territoire britannique, ou bien le Royaume-Uni gardera-t-il le contrôle encore longtemps sur ce minuscule archipel ? L’Argentine augmentera-t-elle encore un peu plus la pression ? L’ONU recommande des négociations, qui semblent encore compliquées à mettre en place. Dans tous les cas, la rivalité entre Angleterre et Argentine est bien réelle ; et à voir les matches grandioses qu’elle a pu nous livrer, on souhaiterait presque la voir durer encore un peu.
Sources :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/26/iles-malouines-en-attendant-le-brexit_5493735_3210.html
https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2012/04/02/la-guerre-des-malouines-ou-trente-ans-de-conflit-irresolu_1678948_3222.html
http://www.lejournalinternational.info/guerre-des-malouines-37-ans-apres/
https://www.lepoint.fr/monde/meme-a-12-000-km-les-malouines-redoutent-les-consequences-du-brexit-16-10-2019-2341732_24.php#
https://www.lemonde.fr/mondial-2018/article/2018/06/15/argentine-angleterre-1986-les-deux-coups-de-folie-de-maradona-le-cerf-volant-cosmique_5315655_5193650.html
Pascal Boniface, chez STEINKIS (2018) : Planète Football
Wikipédia : Histoire de l’Argentine, Guerre des Malouines, Référendum d’autodétermination des îles Malouines…