Novak Djokovic, Serbie, Kosovo : Analyse

Éléments d’analyse pour mieux comprendre pourquoi Novak Djokovic a écrit en cyrillique , « le Kosovo, c’est le cœur de la Serbie ! Stop à la violence », sur la caméra à la sortie de sa victoire au 1er tour de Roland Garros.

Djokovic, dont le père est né au Kosovo, justifie son acte car il est « très touché en tant que serbe par ce qu’il se passe au Kosovo et par la façon dont [son] peuple a été pratiquement forcé de quitter les municipalités […] »

Le joueur serbe fait ici référence aux violents affrontements qui ont lieu dans le nord du Kosovo.

En cause : la minorité serbe demande le retrait de maires albanais qui viennent d’être élus dans les communes du nord du Kosovo, majoritairement serbes.

Les tensions qui ont lieu en ce moment dans le territoire du Nord du Kosovo sont à comprendre dans le complexe contexte serbo-kosovar, la non-reconnaissance par la Serbie de l’indépendance du Kosovo et la situation des Serbes du Kosovo.

Historiquement pour la Serbie, le Kosovo est associé à la bataille de 1389 de Kosovo Polje, où l’Empire Ottoman a affronté une coalition de princes chrétiens, notamment de Serbie.

Un bataille qui fonde le mythe selon lequel le Kosovo serait le berceau de la nation serbe.

Le Kosovo est lui historiquement composé d’albanais & non de serbes, et sera un important foyer du mouvement national albanais au début du XXe s.

Pour autant, le Kosovo se voit intégré en 1948 à la « République fédérative socialiste de Yougoslavie » en tant que province autonome.

Après la mort du leader autoritaire Tito en 1980, les premières manifestations nationalistes éclatent dans cette fédération.

Aussi au Kosovo, composé à majorité d’albanais, qui souhaite devenir une république à part entière.

Les dirigeants du Parti communiste yougoslave, emmenés par le serbe Slobodan Milosevic, réprimeront durement ces manifestations.

En 1989, Milosevic réduit même drastiquement le statut d’autonomie du Kosovo, pour ainsi porter son idée nationaliste d’une Grande Serbie.

Avec l’effondrement du bloc communiste à partir de 1989, la Yougoslavie va elle aussi exploser.

Les demandes d’indépendance des républiques fédérées vont se heurter aux visées nationalistes de Milosevic, et entraîneront les guerres de Yougoslavie.

(Pour mieux comprendre les raisons de l’éclatement de la Yougoslavie je vous conseille d’ailleurs ce reportage complet de la BBC « Yougoslavie : suicide d’une nation européenne. »)

Plusieurs accords en 1995, dont ceux de Dayton, mettent fin à ces combats interethniques.

C’est aussi la la fin de la grande fédération de Yougoslavie, qui n’est plus composée que de la Serbie, du Monténégro et du Kosovo.

Ce nouvel Etat n’en a pas fini avec la guerre, puisque la répression de la population albanaise du Kosovo, orchestrée par le régime pro-serbe de Milošević depuis les années 1990, s’intensifie, ce qui augmente les velléités indépendantistes dans la région.

Un nouveau conflit éclate en 1998 entre séparatistes albanais et forces yougoslaves : c’est la Guerre du Kosovo.

Un conflit qui se termine en 1999 suite à une campagne de bombardement de l’OTAN et les accords de Kumanovo.

Après de longues négociations autour du statut du Kosovo, l’envoyé spécial de l’ONU Martti Ahtisaari soumet au Conseil de sécurité des Nations Unies la proposition d’accorder le statut d’État indépendant au Kosovo.

Le projet est soutenu par les forces occidentales (États-Unis, Royaume-Uni, France…) mais pas par la Russie, allié de la Serbie, qui met son veto.

Le Parlement provisoire du Kosovo n’attend pas l’ONU et déclare unilatéralement son indépendance le 17 février 2008.

De nombreux Etats reconnaissent le Kosovo, dont les États-Unis, la France et l’Allemagne, mais ce n’est pas le cas de toute la communauté internationale.

La Serbie mène aussi depuis 2017 une campagne diplomatique pour que les Etats révoquent leur décision de reconnaître le Kosovo.

L’Etat du Kosovo n’est donc pas membre de l’ONU mais est présent dans plusieurs organisations internationales (FMI, Banque mondiale)

Le Kosovo utilise aussi le levier du sport (membre du CIO, de la FIFA, de l’UEFA…) pour faire reconnaître son existence au niveau international.

Au cours des années 2010, la situation entre les deux pays s’est détendue notamment avec la signature d’accord de normalisation en 2013, dans un contexte où la Serbie souhaite être candidate à l’adhésion à l’Union européenne.

Avec ces accords, une 1ère étape semble franchie puisque la la Serbie a accepté d’accorder au gouvernement de Pristina l’autorité sur le Kosovo, tandis que Pristina a conclu un accord pour former la Communauté des municipalités serbes et leur accorder plus d’autonomie.

Pour autant, les différends sont toujours présents et les crises sont nombreuses au nord du Kosovo à majorité serbe Notamment depuis 2021 et la décisions du gouvernement du Kosovo de remplacer les plaques d’immatriculation serbes par des plaques kosovares.

Une sortie de crise a pourtant été pilotée par l’Union européenne avec les accords d’Ohrid en février 2023. Ils n’ont pas été signés mais « acceptés verbalement » par le Premier ministre kosovar Albin Kurti et le président serbe Aleksandar Vučić.

En avril, des élections ont lieu dans 4 villes à majorité serbe du Nord du Kosovo (Leposavić, North Mitrovica, Zubin Potok et Zvečan) Des élection boycottées par le parti politique serbe du Kosovo, la Liste serbe, et avec une participation d’à peine 3%.

Depuis la population locale s’oppose à l’installation des nouveaux maires albanais et des heurts opposent les manifestants serbes à la police et à des soldats de la force de l’OTAN déployée dans le pays (KFOR).

C’est dans ce contexte qu’intervient la déclaration de Djokovic, qui ne s’était pas exprimé sur le Kosovo depuis 2008. L’icône sportive de Serbie met ainsi en lumière l’opposition de la population serbe à une normalisation des relations avec le Kosovo.

Au-delà de sa déclaration, ce #RolandGarros confronte le sport à la question de sa politisation. Une question qui met en difficulté l' »apolitisme » des instances sportives, notamment dans le contexte de la #GuerreEnUkraine suite à l’absence de poignée de main entre l’Ukrainienne Marta Kostyuk et la Biélorusse Aryna Sabalenka.

Kévin Veyssière

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