AEK Larnaca et le contexte géopolitique de Chypre

Le Stade Rennais débute sa campagne de Coupe d’Europe (Europa League) en se déplaçant à Chypre pour affronter l’AEK Larnaca. Un club à l’intéressante symbolique grecque, dont la ville est située non loin d’une « ligne verte » qui divise l’île en deux depuis 1964.

Le club de l’AEK est situé dans la ville de Larnaca, la 3e plus grande ville de Chypre. L’AEK Larnaca, fondé en 1994, est issue de la fusion de 2 clubs historiques : l’EPA Larnaca et Pezoporikos, vainqueurs par le passé de la Coupe et du Championnat national.

Le nom du club (AEK : Athletiki Enosi Kition) fait référence à l’ancienne ville grecque de Chypre, Kition, située à Larnaca. L’emblème contient l’image de l’amiral Kimon, stratège athénien mort vers 450 av. J-C en défendant Kition pour repousser les Perses de l’île.

Ces deux éléments symboliques font référence au passé grec de Chypre et nous renvoie à son Histoire.

Après la domination grecque durant l’Antiquité, l’île est, de par sa position stratégique, occupée par plusieurs grandes puissances. Dont l’empire ottoman de 1571 à 1878.

C’est à partir de 1878 que le territoire chypriote passe sous administration britannique sur la base de la Convention de Chypre. L’île est ensuite officiellement annexée par le Royaume-Uni en 1914.

Toutefois, les Chypriotes grecs, groupe ethno-linguistique majoritaire dans le pays, sont insatisfaits de la domination britannique et soutiennent l’Enosis, concept d’unification politique entre Chypre et la Grèce.

Malgré des négociations entre la Grèce et la puissance britannique, cette union n’aura pas lieu.

En conséquence, un fort mouvement nationaliste chypriote se développe. Problème : le destin de l’île est divisé entre les volontés divergentes des Chypriotes grecs (77% de la population chypriote dans les années 1950) et les Chypriotes turcs (18 %).

Les Chypriotes grecs souhaitent s’unir avec la Grèce, tandis que les Chypriotes turcs veulent la Taksim, la partition de l’île en parties turque et grecque. Ces tensions ethniques et une volonté d’en finir avec la domination britannique vont entraîner la Guerre d’indépendance chypriote (de 1955 à 1959).

Le conflit fratricide se termine le 19 février 1959 avec la signature des accords Londres-Zurich, établissant la République de Chypre en tant qu’Etat indépendant (officiellement proclamé en 1960).

Un accord qui voit le territoire de Chypre non partitionné et séparé de la Grèce.

À noter qu’avec cet accord le Royaume-Uni conserve la souveraineté sur 2 zones chypriotes : Akrotiri et Dhekelia. Cela s’explique par les installations militaires britanniques présentes et la position stratégique de l’île, à proximité du canal de Suez et du Moyen-Orient.

Les accords Londres-Zurich ne satisfont aucun des deux camps. De nouvelles violences ethniques éclatent en 1963 avec le déplacement de la population chypriote turque dans des enclaves.

C’est la rupture, les Chypriotes turcs ne souhaitent plus être représentés dans la République.

La situation s’aggrave en 1974. Un coup d’État est organisé par les Chypriotes grecs et la junte militaire au pouvoir en Grèce.

Cette action précipite l’intervention de la Turquie, qui veut protéger les intérêts de la de la minorité turque, et qui occupe le nord de l’île.

Malgré un cessez-le-feu rapide, ce conflit entraîne d’importants déplacements de population, d’autant plus que la Turquie reste présente au nord de l’île.

Alors que l’ONU condamne cette occupation, la partition de Chypre s’accentue avec la proclamation en 1983 de la « République turque de Chypre du nord », reconnue seulement par la Turquie.

Depuis le conflit reste gelé et la « ligne verte », mise en place et gérée par l’ONU depuis 1964, s’accentue et divise l’île.

Bien que, au niveau international, seule la République de Chypre soit reconnue souveraine sur l’ensemble du territoire chypriote, elle est de de facto divisée en deux parties :

  • La République de Chypre contrôle environ 58 % de la superficie de l’île
  • La République turque autoproclamée de Chypre du Nord quant à elle 36%.

Près de 4% de l’île est couverte par la zone tampon de l’ONU, le reste étant sous contrôle britannique.

De par cette partition Larnaca va connaître un important développement.

La fermeture de l’aéroport de Nicosie, en 1974, a conduit à la création de l’aéroport international de Larnaca, qui est aujourd’hui le plus grand et le plus important des aéroports chypriotes.

De plus, la perte du principal port commercial de Chypre, à savoir Famagouste, sous administration de la République turque du Nord de Chypre depuis 1983., a entraîné la modernisation importante du port de Limassol ainsi que celui de Larnaca.

Le club de l’AEK Larnaca s’installe aussi progressivement comme un référence, du football chypriote. Avec une Coupe de Chypre remportée en 2018 et 5 fois finalistes du championnat depuis 2015.

À noter que le club de Larnaca est composé d’une forte majorité de joueurs venus d’Espagne. Une situation qui s’explique par l’influence des entraîneurs espagnols qui ont géré l’équipe depuis 2014, dont l’ancien joueur de l’Athletic Bilbao Andoni Iraola.

Si le match AEK Larnaca – Rennes ne constitue pas un enjeu politique, ceux en revanche du 6 et 13 octobre contre le club turc de Fenerbahçe sera à scruter compte tenu des précédents politiques entre Chypre et la Turquie.

En effet, outre la question de l’occupation turque via la République de Chypre du Nord, les 2 pays ont également un différend sur l’étendue de leurs zones économiques exclusives (ZEE). Notamment sur l’exploitation du gaz dans les eaux territoriales.

Une situation à mettre en perspective d’une manière plus globale dans les relations entre Grèce et la Turquie. La découverte de gisements d’hydrocarbures en Mer Egée entraîne de fortes tensions territoriales entre les 2 pays. Erdogan menaçant même que la Grèce paiera un «prix élevé» si elle continue de violer l’espace aérien turc.

Ce qui laisse planer le doute d’un éventuel autre conflit armé en Europe.

FIN

Kévin Veyssière

Ce décryptage est à retrouver en THREAD sur le compte Twitter FC Geopolitics

Et pour aller plus loin, je vous conseille :

>> https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-1-page-83.htm

>> https://www.la-croix.com/Monde/Reunification-Chypre-Lambiguite-dirigeants-destructrice-2021-04-29-1201153336

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